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Un compositeur entre Luxembourg, Bretagne et Ciel
Théodore DECKER (1851-1930) incarne l’intégration réussie d’un musicien luxembourgeois dans la Bretagne de la fin du XIXᵉ siècle. Né à Larochette, formé à la musique dans son pays natal, il s’installe en France dans les années 1870, d’abord sur la côte d’Émeraude, puis à Vannes où il passe près de cinquante ans au service de l’enseignement et de la liturgie.
Professeur d’anglais, d’allemand et de musique, organiste et compositeur,
il est l’auteur du psaume 147 « Lauda Jerusalem », chant liturgique composé en
1891 pour un pèlerinage diocésain et rapidement diffusé bien au-delà du Morbihan.
Par son mariage avec Rosa Caroline Edwards Presgrave, d’origine anglo-écossaise,
il est également à l’origine d’une descendance aux ramifications multiples –
photographes, résistants, figures publiques – qui marqueront profondément le XXᵉ siècle.
Ce récit suit le fil d’une trajectoire qui relie trois espaces – Luxembourg, Bretagne, monde britannique – et trois dimensions : la musique, la foi et la famille.
Théodore naît le 3 novembre 1851 à Larochette, petit bourg industriel du Grand-Duché de Luxembourg. Il grandit dans une famille luxembourgeoise de tradition catholique, dans un territoire pris entre influences germaniques et francophones. Le XIXᵉ siècle est pour le Luxembourg une période de transition : le pays affirme son statut de grand-duché indépendant (traité de 1839), tandis que l’industrialisation transforme progressivement la société.
Très tôt, le jeune Théodore manifeste un goût prononcé pour la musique. Il reçoit une formation musicale solide dans son pays natal : orgue, piano, chant, théorie. Ces années d’apprentissage forgent les bases d’une future carrière de pédagogue et de compositeur de musique sacrée. La maîtrise de plusieurs langues (allemand, français, sans doute luxembourgeois) prépare aussi sa future activité de professeur de langues en Bretagne.
Cette double formation – intellectuelle et musicale – explique en partie pourquoi, lorsqu’il quitte son pays natal, Théodore peut rapidement trouver sa place dans le paysage éducatif et religieux français.
Vers 1874, à l’âge d’environ vingt-trois ans, Théodore arrive en Bretagne et s’établit dans la région de Saint-Malo / Saint-Enogat, sur la côte d’Émeraude. Il y travaille comme professeur de musique, au service d’une clientèle bourgeoise et cosmopolite, française et britannique.
C’est dans ce contexte qu’il rencontre Rosa Caroline Edwards Presgrave (1857-1931), issue d’une famille du monde britannique (liens avec les Indes et l’Écosse). Elle est d’éducation anglophone, mais ancrée dans la culture catholique. Théodore devient son professeur de musique ; la relation pédagogique se transforme en lien affectif.
Le 21 septembre 1877, ils se marient à Saint-Enogat (Dinard)
(evt-mariage-theodore-decker-rosa-edwards-presgrave-1877-09-21).
Ce mariage unit trois univers : un Luxembourgeois, une Anglo-Écossaise et la
Bretagne littorale. Il constitue le point de départ de la branche
franco-britannique de la famille DECKER.
Au début des années 1880, le couple choisit de quitter la côte pour s’installer
à Vannes, capitale du Morbihan. L’installation familiale en 1881
(evt-installation-famille-decker-vannes-1881) marque un tournant décisif.
À Vannes, Théodore cumule plusieurs fonctions :
La ville de Vannes offre à la fois un cadre stable pour la vie de famille – le couple aura quatorze enfants, dont dix atteindront l’âge adulte – et un terrain propice pour le développement d’une carrière musicale et pédagogique de long terme.
En 1895, après plus de vingt ans de présence en France, Théodore est
naturalisé français (evt-naturalisation-theodore-decker-1895).
Cette naturalisation répond à des enjeux très concrets :
Dès lors, Théodore DECKER n’est plus seulement un musicien luxembourgeois en exil : il devient un compositeur français d’origine luxembourgeoise, installé au cœur de la Bretagne catholique.
En 1891, le diocèse de Vannes prépare un pèlerinage à Lourdes. Pour accompagner les pèlerins, l’abbé Joseph Lecorre sollicite Théodore DECKER : il s’agit de composer un chant simple, puissant et facilement mémorisable, fondé sur le Psaume 147 – “Lauda Jerusalem”.
Le 11 septembre 1891, à Vannes, Théodore compose le Lauda Jerusalem
(evt-composition-lauda-jerusalem-1891-09-11). La légende familiale rapporte une
composition rapide, en quelques heures, comme portée par l’urgence pastorale.
Le lendemain, un arrangement pour fanfare est préparé afin d’accompagner le
chant lors des rassemblements. Très vite, la partition est imprimée et distribuée
aux pèlerins dans les trains en route vers Lourdes.
Le succès du Lauda Jerusalem tient à plusieurs caractéristiques :
D’abord chanté par les pèlerins du diocèse de Vannes, le Lauda Jerusalem est rapidement repris dans d’autres paroisses bretonnes, puis dans de nombreuses régions françaises. Au fil des rééditions et des arrangements, il franchit les frontières : on le retrouve dans des répertoires paroissiaux, des recueils de cantiques et des enregistrements bien au-delà de la Bretagne.
Le Lauda Jerusalem devient ainsi l’œuvre majeure de Théodore DECKER, au point d’éclipser – dans la mémoire collective – le reste de sa production musicale.
Pourtant, la contribution de Théodore ne se limite pas à ce seul psaume.
Il compose de nombreux psaumes, cantiques et pièces d’orgue, au service de la
liturgie. Son travail s’inscrit dans le mouvement plus large d’essor de la
musique sacrée en France au tournant des XIXᵉ et XXᵉ siècles.
Organiste, il fait vivre au quotidien cette musique dans les célébrations.
Pédagogue, il forme des élèves qui, à leur tour, participeront à la vie musicale
locale. Dans l’ombre des grandes figures parisiennes, Théodore fait partie de ces
compositeurs “du terrain”, dont l’œuvre irrigue la prière de milliers de
fidèles.
Avec Rosa Caroline Edwards Presgrave, Théodore fonde une famille nombreuse : quatorze enfants, dont dix survivront. Cette fratrie donnera naissance à une descendance aux trajectoires impressionnantes.
Parmi les enfants DECKER, plusieurs deviendront photographes et parfois maires ou figures locales :
Par la branche DECKER-RENAULT, issue notamment de Marie Fanny Rosa DECKER, la famille compte des figures majeures de la Résistance française pendant la Seconde Guerre mondiale, dont le colonel Rémy et plusieurs de ses proches (Maisie Renault, etc.). On estime que la famille DECKER totalise plus de 200 mois de prison ou de cellule durant l’Occupation.
Ainsi, l’héritage de Théodore et de Rosa ne se limite pas à la musique :
leur descendance joue un rôle central dans l’histoire politique, militaire et
morale de la France du XXᵉ siècle.
Théodore DECKER meurt à Vannes le 9 octobre 1930, à l’âge de 78 ans.
Il laisse derrière lui :
Son parcours illustre le destin d’un immigré européen devenu, par la musique et l’engagement, pleinement breton et français. De Larochette à Vannes, de la cathédrale aux salles de classe, des partitions aux récits de Résistance, la figure de Théodore relie des mondes en apparence éloignés : Luxembourg, Bretagne, Angleterre/Écosse, France.
Aujourd’hui encore, chaque fois que le Lauda Jerusalem est chanté ou joué, c’est une part de cette histoire qui résonne : celle d’un homme dont la vie a tissé un lien entre terre et ciel, entre patrie d’origine et terre d’adoption, entre musique et mémoire.